Dans “Bête Noire”, l’un des épisodes les plus troublants de la saison 7 de Black Mirror, Charlie Brooker nous plonge dans une dystopie où une femme utilise un mystérieux appareil pour reprogrammer la réalité selon ses désirs. Ce dispositif, décrit comme un “compilateur quantique”, agirait comme une sorte de télécommande du multivers. Une fiction spectaculaire, mais pourrait-elle s’ancrer dans une réalité scientifique ?
Le concept : une télécommande pour altérer la réalité
Dans cet épisode, Verity, une ancienne victime de harcèlement scolaire, prend sa revanche sur Maria, devenue politicienne, en utilisant un pendentif high-tech connecté à un compilateur quantique. Ce dernier semble capable de plonger les gens dans des versions alternatives de leur vie, les amenant à douter de leur propre perception, voire à perdre pied dans la réalité.
Mais ce postulat spectaculaire repose-t-il sur des bases scientifiques crédibles ? Tentons de décortiquer cela à la lumière des théories actuelles en physique quantique et en neurosciences.
Le multivers : un concept scientifique… encore très théorique
Le multivers est un terme générique qui désigne l’existence de plusieurs univers parallèles, chacun coexistant avec le nôtre. Cette idée est évoquée dans plusieurs cadres théoriques :
Interprétation des mondes multiples d’Everett (1957)
Elle stipule que chaque événement quantique donne lieu à une bifurcation de la réalité, créant une branche différente de l’univers.Théorie des cordes et inflation cosmique
Ces modèles suggèrent l’existence d’un paysage infini d’univers distincts, chacun régi par des lois physiques légèrement différentes.
Problème : ces hypothèses ne sont pas testables expérimentalement à ce jour. Le multivers demeure donc une construction mathématique et spéculative, sans preuve empirique directe.
Le compilateur quantique : possible ou pur fantasme ?
Un compilateur quantique, tel qu’il est présenté dans l’épisode, serait un appareil capable de naviguer consciemment entre les différentes branches du multivers, voire de modifier la perception des gens en les y plongeant. Cela impliquerait deux choses :
Une conscience capable de se déplacer entre des réalités divergentes, ce que rien, aujourd’hui, ne permet d’envisager en physique.
Une technologie capable de détecter, isoler et manipuler ces branches alternatives — or, même les calculateurs quantiques actuels ne peuvent gérer que des états quantiques extrêmement instables et limités dans le temps.
En clair : nous n’avons aujourd’hui ni la théorie complète, ni la technologie pour envisager une telle manipulation. Même l’ordinateur quantique le plus avancé (comme ceux de Google ou d’IBM) n’est pas capable de traiter plus de quelques centaines de qubits avec stabilité.
Mémoire, perception, réalité : une piste plus crédible
L’angle le plus “réaliste” de l’épisode repose plutôt sur la manipulation des souvenirs et de la perception. En effet :
Des expériences récentes en neurosciences ont montré qu’il est possible, via des stimuli ciblés (chocs électriques, drogues, imagerie cérébrale), de moduler ou altérer la mémoire.
Des chercheurs explorent la thérapie de réécriture mnésique pour traiter les traumatismes, ce qui s’apparente à une forme de reprogrammation narrative.
Toutefois, cela reste très rudimentaire, nécessite l’accord du patient, et ne peut générer une immersion totale comme celle vécue par Maria dans l’épisode.
Une brillante fiction, mais loin de la réalité physique
❝ Bête Noire propose une vision extrême mais cohérente du pouvoir technologique poussé à son paroxysme. Scientifiquement, la télécommande de multivers est aujourd’hui hautement improbable. Mais du point de vue des neurosciences et de la technologie immersive, le fantasme d’une réalité subjective manipulée est déjà en marche. ❞
L’épisode s’inscrit dans la grande tradition de Black Mirror : pousser les curseurs de notre époque jusqu’au point de rupture, pour nous interroger sur notre avenir collectif